Les débuts du Satanisme
Stanislaw Przybyszewski a formulé ce qui est probablement la première tentative de l'histoire d'élaborer un système complet de pensée satanique.
Il ne célébrait pas, à notre connaissance, de messes noires le dimanche ni ne récitait des incantations enflammées au Diable avant de rejoindre Morphée, ni même n'a-t-il fondé une organisation satanique qui resta gravée dans l'histoire. Ce qu'il fit, néanmoins, c'est développer une vision du monde subtile et complexe, aux dimensions métaphysiques profondes, dans laquelle Satan occupait le rôle de chef d'orchestre et la place de référent symbolique principal.
Ce n'était pas, comme avec la plupart de ses pairs dans le domaine du Satanisme littéraire, un simple flirt avec le Diable, mais plutôt une révélation qui imprégna de façon cohérente et constante l'ensemble de ses écrits. Aucun des auteurs de l'École du Romantisme Satanique, que ce soit Shelley ou Byron, ou même Baudelaire, ne s'était avant lui identifié comme sataniste ou avait propagé quelque chose qui se rapproche même vaguement d'une vision du monde entièrement dédiée à l'Adversaire de l'Église.
Si une certaine filiation spirituelle et littéraire peut être établie entre lesdits auteurs : Przybyszewski prend certainement la suite de Baudelaire qui fut le premier à chanter Satan en utilisant un langage et une structure inspirés de la poésie dévotionnelle et des conventions liturgiques. On retrouve également chez le slave cette propension particulière à dépasser les frontières entre la spiritualité et l'utilisation artistique de la mythologie, et à mêler les genres textuels, faisant de ses essais sur la critique d'art et l'histoire difficiles à distinguer de sa fiction. C'est néanmoins par la constance et la profondeur des idées et des visions qu'il développe et met en scène dans ses écrits que Przybyszewski se distingue comme un pionner et peut-être même, au sens strict, le premier sataniste. Il demeure à ce jour un des satanistes littéraires les plus cohérents et les plus persistants de tous les temps, avec sans doute seulement Anatole France pour le rivaliser. (Per Faxneld)
La Synagogue de Satan, dont vous trouverez pour la première fois ci-après la traduction française, est l'ouvrage fondateur par lequel ses idées se propagèrent et au sein duquel il développa le cœur de son système de pensée. Sa prose est devenue un classique de la littérature décadente et symboliste du début du 20ème siècle et une référence de plusieurs cercles occultes de l'époque.
Przybyszewski y postule deux éternels dieux de force égale. L'un est le dieu du christianisme, qui veut garder l'humanité dans un état enfantin et lui désavouer son libre arbitre. L'autre dieu, Satan, incarne l'anarchie, la curiosité, la force de vie et la défiance titanesque. Pour Przybyszewski, le bonheur n'est pas une condition naturelle dans la nature. Le progrès et l'évolution de l'homme, de même que son élévation spirituelle, sont intimement liés à la douleur et à la souffrance. Aussi, pour le décadent polonais, Satan est "le Père de la Vie, de la Reproduction, de la Progression, et du Retour Éternel".
Comme dans le livre de Michelet, 'La Sorcière', dont il semble s'inspirer, la Science, la Philosophie et l’Art se manifestent par la providence de Satan. C'est ce dernier qui inspire à son cercle restreint d'élus à dépasser le consensus des masses et de la religion chrétienne qui prêchent : "Soyez pauvres en esprit et humbles, soyez obéissants, suivez l’exemple, ne pensez pas !" pour se laisser enivrer par la muse de l'inspiration diabolique, créer de nouvelles formes de pensées et amener le progrès et la compréhension des mystères à l'humanité.
Les idées qu'il développe ont fortement influencé de nombreux écrivains et artistes qui s'approprièrent les visions de leur auteur en les intégrant à leur propre représentation spirituelle et magique du monde.
Après avoir rencontré Przybyszewski, le peintre polonais Wojciech Weiss (1875-1950) écrit à ses parents à propos de son voyage à Paris : "La Bohême, le Baudelairisme, le Satanisme, la Femme comme Satan, la femme de Rops. Goya. J'ai commencé à faire des gravures. On doit parler de cette manière pour propager le Satanisme à travers la foule."
Hanns Heinz Ewers (1871-1943) fut également grandement impressionné et influencé par les écrits de l'auteur slave qu'il rencontra pour la première fois en 1901 lorsqu’il voyageait à travers la Pologne avec sa troupe de cabaret. Przybyszewski vivait alors à Varsovie et était également impliqué dans les arts dramatiques. En 1910, Ewers commença à donner des conférences publiques intitulées 'La Religion de Satan' qui puisaient presque exclusivement leur inspiration dans les textes du présent livre. Ces conférences, très appréciées à l'époque, propagèrent les idées des deux auteurs pendant plus de 15 ans en Europe. Il semble qu'il y ait eu ensuite une proximité certaine entre les deux écrivains. Ewers s'inspira beaucoup du travail de Przybyszewski mais faisait également référence à lui comme un maître spirituel, impliquant une appartenance à une même organisation ou philosophie occulte. Przbyszewski traduisit se son côté les romans d'Ewers "L’Apprenti Sorcier" et "Alraune" ainsi qu'un recueil de nouvelles.
En 1920, le contenu des enseignements de l'ordre ésotérique allemand Fraternitas Saturni incluait également plusieurs des thèmes sataniques développés dans cet essai incandescent que nous vous laissons découvrir sans plus attendre :
La Synagogue de Satan